lundi 12 novembre 2018

Défaire la distinction


Plusieurs personnes présentes à la remise des prix ont exprimé le souhait de retrouver le texte écrit et lu par Raphaël Besnard, jeune professeur de Lettres qui faisait partie de notre jury cette année. Merci à lui pour sa fougue à défendre la langue et la culture. 



Pierre Bourdieu, éminent sociologue du siècle précédent s’est évertué à distinguer deux formes de culture. La vraie culture d’un côté, la noble, la légitime, celle de Racine et de Chopin, donc la culture de l’élite ; et d’un autre côté la culture de masse, le divertissement populaire voué à disparaître une fois la mode passée, c’est à dire la sous-culture.

Pourtant de nombreuses formes d’expressions artistiques ont été rangées dans la deuxième catégorie, celle de la sous-culture, avant d’atteindre le rang supérieur de la « vraie culture ». Le roman, à ses débuts, était considéré comme un art mineur, un objet de la culture populaire. Au XIXème, le roman devient le symbole de la grande littérature. Le cinéma, aux prémices du XXème était un simple divertissement, pour être appelé plus tard le 7ème art. Et il en va de même pour la bande dessinée ou le jeu vidéo aujourd’hui. 

Parmi les genres et formes d’art qui ont eu le plus à subir la critique légitimiste,  le jazz, la photographie et la nouvelle sont de parfaits représentants. La nouvelle fut pour longtemps synonyme d’entraînement, de presque littérature, de récits pour journaux,  mais est aujourd’hui récompensée ici-même. Le jazz était perçu comme une musique dépravée, satanique même, avant d’être étudié dans toutes les écoles de musique de l’Ethiopie aux Etats-Unis. La photographie, elle, était dénigrée comme un simple outil technique mais nous exposons Cartier-Bresson dans les plus grands musées de ce monde. 

En somme, nous prenons l’habitude de nous exclure nous-mêmes de certaines formes de la culture en la plaçant en dessous d’une autre ; de se dire : « Comment peut-on qualifier ceci ou cela d’artistique ? ». Mais la culture est un grand foutoir métisse et perméable. L’art bouge et la perception que nous en avons bouge aussi. Et c’est cela que nous fêtons maintenant, les arts enfin reconnus à leur juste valeur, la mixité et la beauté de ce qui nous réunit : la culture. 


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