Fin des aventures ébouriffantes de Fabien au pays des Caribous
Jour 7
Je me réveille à pas d'heure,
j'ai pas de montre. Le soleil perfore la vitre, troue le rideau et enfonce ses
rayons dans mes yeux. J'y laisse trois dixièmes à chaque œil et rejoins à
tâtons la salle de bains. Dans le miroir, je croise un type endormi au regard
mauvais. J'espère pour lui qu'il n'a pas une lecture devant des millions de
personnes prévue ce matin, sinon c'est le fiasco assuré.
Je fais des longueurs dans la
baignoire, histoire de me dégourdir les palmes. Je saute dans mon plus beau
costume, celui de ma première communion. Je mets des chaussettes propres. J'accessoirise
mon accoutrement en lui adjoignant une écharpe rouge et une pipe à bec. Ainsi
déguisé, je peux passer incognito pour un écrivain renommé. Mon paradoxe et moi
sommes prêts à affronter cette foule immense que j'entends déjà se faire
surestimer sous ma fenêtre par les syndicats.
Le moment de lecture se décompose
en cinq mouvements joués par autant d'auteurs.
De hauteur, il en est question
lorsque je prends le micro. Du sommet de ma chaire, je prends le parti de
subjuguer la salle et de l'émouvoir aux larmes avec mon histoire dont le héros
meurt à la fin.
Je passe le restant de la journée
à rédiger des autographes et à recevoir des prix littéraires.
Le soir, dans les bras de
groupies énamourées, et dans mon cahier, j'écris que le temps, j'aurais pas
cru. Et que tout a l'air plus grand dans c't'hostie d'pays, surtout mon talent
d'écrivain.
Jour 8
J'ai pas envie de me réveiller,
j'ai pas envie qu'on soit un autre jour. Pas celui-ci, en tous cas, pas le
dernier. J'espère une tempête de neige qui clouera les avions au sol. On m'a
promis des cinquante centimètres de poudreuse dans les guides touristiques,
qu'on me les donne ! Et les volcans islandais, jamais là quand on a besoin
d'eux. Je glisse un œil entre les rideaux, il fait un temps splendide, c'est
déprimant.
J'ai pas eu le temps de tout
faire : chasser l'ours à dos d'orignal, manger du sirop d'érable à dos de
lapin, faire des photos à mettre sur Facebook, prendre l'accent, conduire un
truck, sauter dans la piscine du haut de frigo, faire un bœuf avec Robert
Charlebois, appeler mon patron et démissionner, je veux rester ici.
La police vient me chercher et me
raccompagne à l'avion. Je supplie Carole pour qu'elle m'autorise à remporter
les douze prochaines éditions du concours mais je constate à regret qu'elle est
incorruptible.
Je cache une bombe dans mon sac
pour être gardé prisonnier ici. Je suis sûr que les cellules y sont plus
spacieuses que mon duplex.
Rien n'y fait, même les douaniers
sont sympas. Foutu pays.
A Paris, il pleut. Il fait 4° en
plein soleil, y'a pas de soleil.
Le soir, dans mon souvenir,
j'écris un livre. J'ajoute que tout a l'air plus grand dans ce pays, tout est
démesuré, vaste, immense. J'écris que c'est un grand voyage que je viens de
faire.
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